Première femme Maître de Conférences en Mathématiques Appliquées à l’Université de Ouagadougou (UO), spécialiste en analyse numérique et informatique elle poursuit ses recherches au Laboratoire d’analyse numérique, d’informatique et de biomathématique (LANIBIO) à l’UO. Dans l’interview ci-après qu’elle a accordée à Sidwaya, elle parle entre autres de sa passion pour les mathématiques, de ses recherches, des prix d’excellence obtenus et de l’intérêt de sa discipline pour la résolution des problèmes de développement.
Sidwaya (S) : L’analyse numérique et informatique, votre spécialité, qu’est-ce que c’est ?
GBK : L’analyse numérique est cette branche des mathématiques chargée d’élaborer des méthodes et des techniques pour le calcul effectif des solutions de problèmes divers, et souvent complexes. Elle s’intéresse tant aux fondements théoriques qu’à la mise en pratique des méthodes de résolution. Les problèmes résolus viennent de la biologie, de la physique, de l’économie, des finances, de l’ingénierie, des sciences sociales, etc. On entend souvent par calcul numérique un ensemble de calculs qui sont réalisés sur un système informatique, encore appelé système numérique (ou ordinateur). D’où le lien étroit entre l’analyse numérique et l’informatique.
S : Quel peut être l’intérêt de cette spécialité pour le Burkina ?
GBK : Aucun pays développé ne peut se passer de cette spécialité car de nos jours, ces pays utilisent l’analyse numérique pour développer beaucoup de secteurs tels que l’industrie, l’aéronautique, la médecine, l’environnement, etc. Le Burkina Faso doit logiquement trouver intérêt dans cette discipline pour le développement de divers secteurs de son économie. A titre d’exemple, le Laboratoire d’Analyse Numérique, d’Informatique et de Biomathématique (LANIBIO), dirigé par le Professeur Blaise Somé a déjà réalisé des études dans plusieurs domaines. Il s’agit par exemple des études de la dynamique des polluants d’origine agricole des bassins versants du Burkina Faso; de la modélisation mathématique de dynamique de transmission du paludisme ; de l’optimisation de la couverture de Charge électrique à la Société nationale burkinabé d’électricité (SONABEL) : problématique du délestage et l’analyse multicritère des coûts opératoires des infrastructures d’accès à l’eau potable. Le LANIBIO intervient dans le domaine de l’analyse numérique et informatique dans de grandes écoles d’ingénieurs telles que les 2ie au Burkina. Un intérêt pourrait être aussi la valorisation et la visibilité des résultats de la recherche universitaire au Burkina sur le plan international. Ainsi, nous avons de nombreuses publications à diffusions internationales indexées par les abstracts. Nos résultats ont été appréciés sur le plan international, notamment par de grandes maisons de publication telles que Central European Journal of Mathematics (CEJM) pour des applications en physique du plasma et Applied Mathematics and Computation, Elsevier Science and Technology Journals, AMC, pour des applications en biologie. Les mathématiques sont un outil pour les autres sciences. En général, les problèmes que nous résolvons sont des problèmes posés dans d’autres disciplines. Après la résolution mathématique, l’exploitation des résultats revient à ceux qui ont posé le problème.
S : En quoi cette étude de la dynamique des polluants des bassins versants agricoles va apporter concrètement au Burkina ?
GBK : C’est une étude en cours. Elle a pour objectif d’identifier les polluants et les types de maladies qu’ils causent afin d’élaborer un système d’alerte pour ceux qui vivent dans le bassin et éventuellement les populations qui vivent loin de ces bassins et dont la dynamique des eaux polluées souterraines peuvent atteindre les forages que ces populations utilisent.
S : D’aucun soutiennent que les pays pauvres ont plus besoin de la science appliquée que de la science fondamentale. Vous qui évoluez dans ce domaine, quel est votre point de vue ?
GBK : Nous avons besoin des deux. Nous devons avoir notre place dans l'un et dans l'autre domaine. La science et la technologie constituent un des principaux centres d’intérêt du programme de développement des pays pauvres. Aussi, faut-il le préciser, c’est une nécessité pour ces pays de promouvoir leur développement en encourageant la recherche dans tous les domaines, en particulier dans le domaine de la science et de la technologie. Devons-nous nous contenter simplement de faire des applications des théories élaborées par d’autres ? Attendre que d’autres fassent la recherche fondamentale et qu’ils viennent encore nous apprendre à en appliquer les résultats ? Ne pensez-vous pas que nous sommes suffisamment dépendants ainsi et que si cela continue, nous risquons la recolonisation au motif cette fois-ci de nous placer sous tutelle éducative jusqu’à la maturité scientifique ?
Nous pensons plutôt que les pays pauvres doivent avoir une dynamique de changement pour sortir du sommeil qui les a caractérisés jusque-là, et un engagement politique à sensibiliser leurs communautés nationales, à faire participer leurs citoyens aux programmes scientifiques et technologiques, à promouvoir les éléments de leur épanouissement intellectuel, à encourager l'initiative technologique et scientifique, et à renforcer leurs capacités de recherche. Ces pays devraient pouvoir créer des centres d’excellence pour la recherche. Il y a un lien entre recherche fondamentale (théorique, abstraite) et recherche appliquée. La réflexion théorique sert de support, du moins de point de départ, aux applications pratiques et, en retour, celles-ci enrichissent l’expérience du chercheur qui œuvre dans le domaine des sciences fondamentales. Les deux domaines de la science fonctionnent comme le corps et l’esprit. Le corps a besoin de l’esprit pour avoir de la vitalité et l’esprit ne peut s’exprimer sans le corps. Quel que soit le domaine, la science appliquée a forcément un fondement théorique, fondamental. Si nous comprenons ce fondement, nous pouvons mieux l’appliquer. Si l’on veut privilégier la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale, il arrivera un moment où l’on sera handicapé, parce qu’il manquera le fondement théorique au développement des technologies. Il faut souligner enfin que les pays dits pauvres ont des problèmes spécifiques qui ne constituent pas des centres d’intérêt pour les chercheurs des pays développés. La responsabilité d’y apporter des solutions incombe aux intellectuels de ces pays en développement qui ne peuvent faire de propositions pertinentes s’ils ne maîtrisent pas les concepts scientifiques fondamentaux des domaines concernés.
Prenons par exemple le domaine minier et son exploitation. Imaginez ce que nous pourrons gagner et économiser si nous avions nos propres structures d’exploitation ! Ou encore le domaine de l’énergie solaire. J’estime que ce domaine est peu développé dans les pays pauvres qui ont le soleil en abondance. Au niveau de la santé, certaines maladies sont purement tropicales et sévissent dans les pays en développement. C’est le cas du paludisme.
S : Vous aviez obtenu beaucoup de distinctions, dont le prix de l’Union africaine pour la science. Parlez-nous de ce prix et son importance pour votre carrière de chercheur.
GBK : Nous avons été Lauréate du prix Scientifique de l'Union Africaine, Catégorie Sciences Fondamentale, Technologie et Innovation. Cinq régions totalisant les 54 pays d’Afrique y ont participé. Ce prix vise à récompenser les efforts de recherches scientifiques des femmes dans l’Union. Cette distinction est le résultat de nos travaux scientifiques de recherche en mathématiques appliquées, option analyse numérique et informatique. Elle l’est aussi de nos diplômes et investissements en Science de l'éducation, spécialité : Utilisation des Technologies de l'Information et de la Commutation pour l'Enseignement et la Formation, notamment le développement des formations ouvertes et à distance (FOAD) à l’université Ouaga 2 avec l’appui de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF). Ce prix, au-delà de notre personne, honore le LANIBIO et l’Université Ouaga 2. Ces deux institutions apparaissent désormais comme des pôles d’excellence. Ce prix de l’Union Africaine nous invite à redoubler d’effort dans le domaine de la recherche et à nous inscrire continuellement dans le domaine de l’excellence. Nous avons une importante responsabilité en matière de recherche innovante pour la formation universitaire et la recherche pour le développement. Nous avons aussi été contactées pour la mise en place d’un Comité Scientifique Régionale (CSR) et pour l’Initiative e-Learning de la CEDEAO.
S : Beaucoup de gens pensent que les filles ne sont pas faites pour les matières scientifique (mathématique, physique chimie, géologie, etc.). Votre opinion ?
GBK : A notre connaissance, aucune étude scientifique ne prouve cela. La recherche scientifique est faite pour tout le monde. Les filles peuvent donc très bien mener une carrière de recherche scientifique au même titre que les garçons si elles en ont la volonté. Cependant, il est vrai que le nombre de filles et femmes dans ce domaine est nettement inférieur à celui des hommes. Nous avons d’abord un faible taux de scolarisation et de succès des filles en Afrique. L’analphabétisme des parents peut en être une cause. Refus d’envoyer les filles à l’école et la non possibilité de les encadrer lorsqu’elles sont scolarisées. Les idées erronées selon lesquelles il est plus difficile de réussir dans les disciplines scientifiques que les autres disciplines justifient le fait que les filles choisissent rarement de s’orienter dans les filières scientifiques en général et en mathématique en particulier. Une orientation non adéquate, le manque d’information aux élèves sur les carrières et les possibilités, le fait de ne pas montrer des exemples de femmes modèles dans les carrières scientifiques aux élèves et étudiants, le fait que ces derniers constatent des exemples de femmes (et même d’hommes) qui ont, certes, réussi brillamment dans les métiers de l’ingénierie et de la recherche, mais qui ont raté leur vie sociale. A cela s’ajoute le problème des longues études en rapport avec le statut social de la femme. Lorsqu’on parle de recherche, en particulier en sciences, on pense immédiatement à une longue carrière académique et professionnelle. Même au niveau familial, les filles ne sont pas encouragées à s’orienter vers les longues études. Elles sont souvent incitées à rentrer vite dans la vie active et à fonder un foyer.
S : Comment et à quelle périodes du cursus scolaire faut-il actionner les leviers pour garantir une meilleure représentativité des filles dans le domaine scientifique et technologique, dans les métiers de l’ingénierie et de la recherche ?
GBK : Pour inverser les tendances, il faut tout d’abord, au niveau familial, donner la même chance à la fille qu’au garçon d’aller et de réussir à l’école. Au niveau des pouvoirs publics, il faut mettre en place une politique incitative pour la scolarisation des filles et, en cela, l’approche genre peut être une solution. Il faut expliquer à la jeune fille les possibilités de carrières dès que possible, déjà à partir du primaire, lui parler d’exemples, lui montrer des modèles dans ce domaine… Il faut rassurer la fille de la faisabilité des études dans le domaine scientifique à partir des premières années au lycée et toujours montrer des exemples. Les filles doivent se départir de l’idée reçue selon laquelle il est plus difficile de réussir dans les disciplines scientifiques que les autres disciplines: cette difficulté apparente est beaucoup plus psychologique que réelle. Elles doivent donc s’orienter selon leurs aptitudes intellectuelles, elles ne doivent aucunement avoir peur de faire les mathématiques si elles ont des aptitudes, par exemple, au Lycée, à faire les mathématiques. Il y a toujours des difficultés quelle que soit la filière de formation et le sexe. Le plus souvent, il y a plus d’idées reçues que d’informations exactes. Il y a lieu pour les filles qui désirent s’engager dans les filières scientifiques de s’approcher des personnes qui sont déjà dans le domaine pour avoir des informations exactes. Aussi rassurer la fille que l’on peut judicieusement concilier une brillante carrière scientifique et une vie de famille épanouie.
L’une des difficultés en tant que femme, liée aux longues études, est qu’à partir d’un certain moment, intervient la nécessité de fonder un foyer. Cela suppose que, en même temps qu’on étudie, on s’est préparée à cette vie familiale. Un nécessaire équilibre s’impose entre la vie sociale et les occupations liées aux études et à la recherche. Dans la pratique, cet équilibre est souvent difficile à observer parce que l’on est souvent absorbée et préoccupée par le travail si bien qu’on néglige les autres aspects: coquetterie, vie sociale et familiale. De plus, on peut bien étudier tout en étant mère. L’équilibre social est un élément important de la réussite. La famille et les loisirs sont des éléments indispensables à cet équilibre. Il faut savoir, tout en faisant carrière dans les métiers de l’ingénierie et de la recherche scientifique, avoir suffisamment de lucidité pour mener une vie équilibrée sur le plan social et affectif. Nous estimons que la femme est la clé du bonheur dans le foyer : elle doit tout faire pour séduire et satisfaire son mari et prendre soin de ses enfants. Aussi, il faut planifier ses activités afin de prendre en compte tous ces aspects.
S : D’où vient votre passion pour la science et plus particulièrement les mathématiques ?
G.B.K : Cette passion n’a pas été le résultat d’un choix précis au départ. Nous avions nourri le rêve d’être médecin, pilote ou informaticienne. Elle est venue au fur et à mesure que nous avancions dans les études. Notre disposition d’esprit à y réussir a été perçue par nos enseignants qui nous ont encouragée et orientée vers une formation dans le domaine scientifique. Par la suite, nos résultats scolaires et à l’université leur ont donné raison. Nous y avons pris goût avec le temps en découvrant toutes les opportunités qui pouvaient s’offrir à nous dans cette filière, ce qui nous a donné toutes les motivations nécessaires pour affronter les difficultés et parvenir au niveau où nous sommes.
S : Vos projets …
GBK : Nous sommes toujours dans la logique d’évolution ; nous poursuivons nos recherches en vue de postuler dès que possible au grade de professeur Titulaire. En tant qu’enseignant chercheur il est de notre devoir de faire mieux, pour enseigner, encadrer, contribuer à la recherche scientifique et notamment à l’innovation techno pédagogique. Nous avons été contactée pour travailler dans une grande équipe internationale de recherche en physique en tant que spécialiste de l’analyse numérique et informatique pour la résolution mathématique de certaines équations complexes déduites de problèmes physiques avec des applications potentielles dans différents domaines tels que l’astrophysique, l’agriculture, la médecine, la pharmacie et l’industrie chimique. Les problèmes posés en physiques sont modélisés sous forme d’équations (mathématiques) ou modèles mathématiques. Naturellement, il faut trouver la ou les solutions de ces équations. Notre contribution se trouve à ce niveau.
interview réalisé par Boureima sanga des éditions sidwaya